Photographie et Paysage de Madrid à Paris.
Entretien et traduction : María López Morales
RAQUEL CÁCERES
Raquel Cáceres (1993) est une photographe et artiste visuelle qui vit actuellement entre Madrid et Paris. Elle est diplômée en photographie de l’école universitaire TAI de Madrid, et a également étudié un master en Estudios Artísticos, Literarios y de la Cultura à l’Université Autónoma de Madrid. Elle a participé aux que Photogénic, Encuentros Fotográficos de Gijón et Re-vela-T à Barcelone, remportant le prix de la Fondation Mapfre (2020).
L’année dernière, elle a vécu à Paris grâce à la bourse Formarte (2020-2021). En 2020, elle a reçu une mention d’honneur au 20e prix COCEF des arts plastiques et de la photographie à Paris.
Son projet L’Observatoire et La Forêt de Meudon a été exposé à la Plaza Mayor de l’UAM (2021), au Collège d’Espagne (Paris, 2021) et à la Galerie Nadar de Tourcoing (Lille, 2021).
Cette année, elle a de nouveau remporté la bourse Formarte pour une nouvelle résidence artistique à Paris en 2022.
En 2020, elle a fondé, avec sa partenaire et amie Lucía Contreras, le magazine Handbali, un espace de photographie axé sur la nature et le paysage. Le troisième numéro du magazine vient d´être publié
Dans le cadre de quel projet votre bourse au Colegio de España à Paris se déroule-t-elle ?
Ces dernières années, les archives et la configuration de certains espaces à partir d’eux sont devenus ma ligne de recherche principale. Pour ce qui concerne la bourse FormArte, je suis plongée dans la réalisation d’un projet de documentation autour de la Cité Internationale Universitaire de Paris, que j´ai commencé en 2021 et que je poursuivrai en 2022. Je m’intéresse à l’idée de repenser le paysage et l’entourage de cet ensemble urbanistique de résidences qui, depuis sa genèse en 1925, continue à s’élargir de nos jours. Mon projet est centré sur l’idée de reconstruire la mémoire de Cité –premièrement conçue en tant que « cité-jardin »– à partir des archives et de la photographie. Pour ce faire, le principe qui fait régner l’ordre sur la nature serait évité de manière presque inconsciente, d’autant plus que, d’après moi, le paysage est le composant le plus significatif de cet endroit.
La perception de Paris en tant que noyau de production artistique est-elle toujours d’actualité ou, par contre, son rôle est-il voué à la décadence ?
Je suis convaincue qu’elle est toujours d’actualité. Dans le domaine artistique, la France est un pays d’une tradition visuelle très puissante, étant la preuve la grande quantité d’aides, de bourses et de programmes qui encouragent l’art émergent. Paris est la ville parfaite pour se frayer un chemin dans le milieu de l’art contemporain. Malgré cette dernière année, l’offre culturelle invite à générer des espaces de réflexion et de connaissance qui réussissent à préserver l’importance des arts visuelles et de leur rapprochement d’un public très divers. Il est vrai que dans d’autres pays tels que la Hollande, la photographie documentaire est beaucoup plus consolidée –aussi bien au niveau professionnel qu’amateur– que le reste des disciplines visuelles. De même, en Allemagne les études audiovisuelles ont été mises en place dans le programme éducatif bien avant qu’en Espagne.
Le paysage urbain de Paris, ainsi que le naturel, ont-ils influencé la suite conceptuelle de votre œuvre visuelle ?
Oui, aussi bien de manière consciente qu’inconsciente. Mon séjour ici me permet de découvrir des paysages auxquels je n’étais pas habituée et, par conséquent, le regard est dès lors conditionné par de nouveaux facteurs. Le fait de vivre entourée de personnes provenant des disciplines différentes est également une source d’influence.
Aviez-vous des liens préalables avec la culture francophone ? Pourriez-vous nommer certaines figures de l’espace francophone qui nourrissent votre travail créatif et votre positionnement en tant qu’artiste ?
Jusqu’à ces deux dernières années, je n’avais jamais vécu en France. Même si, grâce à ma formation académique j’ai toujours été accompagnée par les grands photographes de la culture française (Atget, Doisneau, Nadar, Daguerre…), ce n’est que maintenant que j’ai commencé à découvrir certains modèles qui, de manière involontaire, me guident. Pour ce qui est des artistes actuels, je soulignerais les figures de Sthéphanie Solinas, docteure en Arts Plastiques (Paris I) qui s’interroge sur le fonctionnement de la vision et ses limites ; ou encore, de Noémie Goudal, artiste visuelle française dont la recherche est basée sur les photographies et les films en tant qu’images dialectiques.
Issues de l’espace francophone et, plus concrètement, de mon lieu de résidence, ma famille et mes amis sont les personnes qui m’inspirent le plus pour créer et pour continuer avec mon œuvre. J’ai la chance de vivre avec des physiciennes, des biomédecins, des dramaturges, des historiennes et des artistes qui me procurent une vision du monde totalement différente à celle que j’avais avant mon arrivée à Paris.
L’Observatoire et la Forêt de Meudon
Que se passe-t-il dans cet espace et pourquoi le regard photographique s’y est intéressé ?
Le regard du paysage en lui-même est, par lui-même, le début de production des archives. Il en va de même pour l’Observatoire qui ne récrée pas, mais produit, de manière continuelle, son propre enregistrement systématique du ciel. La possibilité de réaliser un projet de longue durée dans un endroit tellement emblématique m’a permis de connaître en profondeur cet espace où l’art et la science ont commencé à cohabiter dès le moment où j’ai décidé qu’il fallait raconter une histoire. Dans L’Observatoire et la Forêt de Meudon, je conduis le regard du spectateur vers ces structures de caractère scientifique qui, en combinaison avec la photographie d’archive, complètent les lectures manquantes du lieu. En fin de compte, le cadrage photographique n’est pas seulement ce qui est inclus, mais aussi ce qui est exclu ; de cette façon, une nouvelle information, située en dessous des « couches officielles » de l’image première, est déterrée.
Dans cette série photographique, deux perspectives photographiques cohabitent : la première, presque complètement horizontale, est donnée à travers la caméra et produit de nouvelles images ; la deuxième, verticale, provient des télescopes et génère des images d’une volonté intentionnellement scientifique à l’origine, mais également susceptibles d’entraîner un inconscient esthétique.
Quelle place ce projet occupe-t-il dans l’ensemble de votre œuvre artistique ? De quelle manière il le modifie, le renouvelle ou le perpétue ?
Ce projet est devenu le point de départ dont j’avais besoin pour découvrir ce qui m’intéresse vraiment et quels sont les sujets autour desquels je voudrais, dès lors, travailler. Je me suis toujours intéressée à l’idée d’ « archives » comme élément stimulant du récit, c’est pourquoi, je repense maintenant la manière de finir avec ce qui limite l’image et la réduit à sa condition de témoignage.
Ce projet a été le déclencheur de tout ce qui constitue mon travail actuel, comme c’est le cas de mon Travail de Fin de Master ou de la bourse FormArte. De nos jours, j’étudie la manière dont une fiction peut devenir une mémoire à long terme au moyen d’archives qui, au lieu de faire partie du passé, devraient s’intégrer dans le présent.